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Des cerises en hiver

Des cerises en hiver

Des cerises en hiver

Il y a quelques jours, alors que je regardais les arbres du jardin se parer de superbes couleurs mordorées, mon regard fut attiré par plusieurs tâches blanches sur les branches d’un cerisier, déjà presque nu. Je pensais en premier lieu qu’il s’agissait de duvet de plumes. J’ai en effet la chance de partager ce jardin avec de nombreux oiseaux, coléoptères, papillons, libellules entre autres créatures ailées. Je peux ainsi admirer le ballet des rouges-gorges, pics-verts, huppes, corbeaux, pies, pigeons, merles, moineaux, mésanges, tourterelles… Ils sont remplacés la nuit par le vol silencieux des chauves-souris et des oiseaux de nuit.

En m’approchant un peu plus près, je fus surprise de découvrir une éclosion de fleurs, digne d’un printemps glorieux. Seulement, malgré l’extrême douceur de l’air de ce mois d’octobre, nul ne pouvait contester que l’hémisphère nord était bel et bien entré dans l’automne. Cette observation me plongea dans une succession de réflexions.

Chance ou malchance, qui sait ?

Je repensais à ce conte de sagesse : un vieux fermier possédait pour seule richesse un cheval grâce auquel il labourait ses champs. Un jour le cheval s’enfuit vers les collines. Ses voisins le plaignirent : « Quelle malchance ! » Le vieux fermier se contenta de répondre : « Chance ou malchance… Qui sait ? » Une semaine plus tard, le cheval revint accompagné de plusieurs chevaux sauvages. Les voisins félicitèrent le vieux fermier pour sa bonne fortune. Lui répondit à nouveau : « Chance ou malchance… qui sait ? » Quand le fils du fermier entreprit de dresser un des chevaux sauvages, il fit une chute et se brisa une jambe. Tout le monde pensa qu’il s’agissait d’une grande malchance. Je suis certaine que vous devinez déjà la réponse du vieux fermier : « Chance ou malchance… qui sait ? » Quelques jours plus tard, les soldats entèrent dans le village pour réquisitionner tous les jeunes gens valides pour les envoyer à la guerre. Quand ils virent le fils du fermier avec sa jambe cassée, ils le dispensèrent du service.

Partant de cet angle de vue, je ne saurais donc dire si cette douceur au mois d’octobre et la floraison d’un cerisier est une chance ou une malchance.

La ronde des lunes

Néanmoins, je ne pouvais m’empêcher de repenser aux nombreux documentaires qui alertent sur le dérèglement climatique. Y avait-il des raisons de se réjouir d’espérer des cerises en hiver ? Je repensais aux paysages du globe, modifiés par nos comportements humains devenus irrespectueux d’un rythme sauvage et naturel. Comment concilier avancée et bon sens ? Comment rester en paix tout en prenant notre responsabilité ?

Tout cela faisait écho à la façon dont je traitais ma propre terre, mon corps. Combien de fois a-t-il cherché à attirer mon attention avec ce qui pourrait ressembler à une floraison printanière en plein mois d’octobre ou à un roman de Boris Vian ? Il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre. D’autres priorités, d’autres urgences. En aura-t-il fallu des lunes et des lunes pour que je lui prête enfin une attention plus bienveillante. Pour que je goûte au rythme que mon corps de femme m’invitait à embrasser.

Par amour pour moi, j’ai enfin pris le temps d’écouter et de respecter ma terre.

Quel plus beau cadeau faire à la vie que de couler en son flot ? De danser en harmonie avec ses rythmes et ses saisons. Pour cela, j’ai dû apprendre à écouter autrement, à sentir autrement, à penser autrement, à diriger mon attention vers ce que je veux créer : être et rester en paix, cultiver, honorer et respecter ma connexion à ma nature sauvage.

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